Ricardo l’Argentin
et la déesse de l’Atlantide
Je suis entrain de siroter un café au petit bar de pêcheurs qui donne sur le port. J’aime cette vue qui plonge sur les bateaux de pêche, avec en toile de fond, un flanc abrupt de l’île aride de Lanzarote.
Soudain, je bondis. Le gars qui passe dans mon champ de vision, je le connais ! Un petit bonhomme tout sec avec des cheveux grisonnants et une petite barbe blanche. Je lui fais signe. Lui aussi, semble me reconnaitre ; mais, probablement comme moi, il ne sait pas d’où.
C’est quand il enlève ses lunettes de soleil, que la mémoire me revient.
Tu étais au mouillage à Funchal. Tu m’avais donné une adresse de marina au Brésil.
Oui, oui, jé mé souviens ! me répond-il avec un accent sud américain.
Je suis vraiment très content de revoir ce gars avec sa tête de vieux sage. A Funchal, nous ne nous sommes qu’entrevus et j’aurais bien aimé parler avec lui plus longuement. Il est arrivé hier soir à La Graciosa ; dans des conditions olé olé ! Le vent était violent.
Mais je te croyais déjà au Cap Vert ! lui dis-je.
Eh oui, j’ai du retard. J’ai dû rentrer à Paris.
Tu viens de Madère ?
Oui, en direct.
Café ?
Café !
Dos café solo, por favor !
J’aime ici. C’est calme. Ça fait du bien, me dit-il en regardant autour de lui comme un enfant émerveillé. J’avais prévu de partir cé matin, mais ça mé plaît téllement ici que ce sera pour démain. Je mé sens bien ici. J’ai envie de mé mettre à la terrasse du café et régarder les barques des pêcheurs. Tranquille !
Accoudés au bar, nous parlons comme de vieux amis qui ne se sont pas vus depuis des lustres. C’est ça la magie de la mer et du bateau ! Au moins avec lui, pas de risque de conversation de plaisanciers. Electronique, pilote, Iridium, Maxsea… Un vrai de vrai ! Digne de Moitessier ! La plupart du temps, il navigue seul.
Alors, cap sur le Brésil ?
Oui ! Je vais rester là-bas deux trois ans, ensuite, je verrai ! Je souis sour que ça va mé plaire lé Brésil !
Dans le port, les petites barques multicolores sont bercées par le ressac.
Ricardo est argentin. Il habite Paris depuis trente et un ans.
Quand je suis venu en Europe, j’avais vingt huit ans. Je suis venu avec cinq cents dollars en poche. J’étais venu pour un an. J’avais demandé une année sabbatique à l’Université où je travaillais.
Pourquoi venir en Europe ?
Je voulais connaître mes racines, ma famille européenne, parce que je suis né de parents italiens. J’ai commencé par l’Espagne, puis l’Italie. Bien entendu, au bout d’un mois, je n’avais plus d’argent ; tellement la vie était chère en Europe ! Alors, en Espagne, j’ai travaillé dans la restauration, puis, j’ai fait des petits boulots, par ci par là, pour m’en sortir.
Et progressivement, le clandestin s’est ancré en Europe !
Oui ! répond-il en riant. Et un jour, je suis allé à Paris. Là, j’ai tout de suite vu que je pouvais gagner un peu d’argent. A ce moment là, la France était plus avancée que l’Espagne et l’Italie. J’ai travaillé dans le bâtiment. Là où on avait besoin de moi !
L’Argentin me lance un coup d’œil coquin.
La serveuse n’est pas d’ici, elle doit être Colombienne.
Je comprends très bien que Ricardo ne soit pas insensible à la créature qui vient de nous apporter les cafés. Superbe latino, avec de magnifiques yeux marron-verts comme des fleurs tropicales !
Dis-moi Ricardo, depuis quand tu navigues ?
Dépouis toujours ! s’exclame-t-il en riant. Quand j’étais pétit, dans ma tête ! Je construisais des bateaux et je les faisais naviguer dans mon imagination. La première fois que j’ai fait du bateau, j’avais vingt et un ans. En 1980, j’ai construit mon premier bateau. Un bateau de 9,50 m. Je l’ai appelé AMOÏTE.
Qu’est-ce que ça signifie ?
Chez les Indiens Guarani, dans le nord de l’Argentine, ça voulait dire « Là-bas au loin » ! C’est un nom dont je rêvais baptiser mon bateau depuis l’âge de 12-13 ans ! Avec lui, j’ai fait la Méditerranée : l’Espagne, la Corse…
Ricardo me confie aussi, qu’à vingt ans, il avait une fiancée qui était Guarani et qui parlait cette langue perdue. Une langue téllement douce ! me précise-t-il d’un ton nostalgique. Etrange, non ?
L’Argentin fait parti des derniers survivants de navigateurs-aventuriers. Ceux qui osent partir avec pas grand-chose. Système D. Minimum de matériel qui risque de tomber en panne. « Tout ce que je ne peux pas réparer moi-même, je ne l’emporte pas ! ». Savoir tout faire.
Aujourd’hui, on navigue à grand renfort d’électronique. Moi, le premier ! C'est-à-dire que les grandes navigations se sont « démocratisées ». En fait, l’apport de l’électronique permet (presque) à monsieur tout le monde de traverser l’Atlantique… sans être un marin ! Par contre, la « démocratisation » n’est pas financière. En effet, navigation hauturière est devenue synonyme de budget. En plus, les vrais navigateurs se font de plus en plus rares.
On prend une année sabbatique, ou on part en famille pendant deux ans… La grande aventure ! Et ensuite, on rentre chez soi, et on recommence à s’embourber dans le petit train train habituel dans sa prison dorée : confort, douces habitudes, sécurité, télévision, petites mesquineries... vacances !
La mer et le bateau, en tant qu’art de vivre et de philosophe de vie, n’intéresse plus grand monde. Trop contraignant !
Ricardo, et si tu me parlais de ta première traversée de l’Atlantique !
Le visage du navigateur se dilate. Soudain, le petit bonhomme au physique de sage Indou semble avoir grandi de vingt centimètres ;
Les Caraïbes en 1994 ! Après, j’ai acheté le bateau actuel, ANTHINEA.
C’est toi qui l’as baptisé comme ça ?
Non, c’était son nom et je ne voulais pas le changer. Question de respect !
Et ça signifie ?
C’est le nom d’une déesse de l’Atlantique ! me déclare-t-il fièrement.
Je comprends.
Je l’ai retapé pendant un an et demi avec du matériel d’occasion. et je suis allé naviguer en Corse. Et, l’année d’après, cap sur les Caraïbes !
Ricardo est réellement transfiguré.
Une ouverture énorme de mon esprit ! Pas seulement le voyage, mais les rencontres !
Tu veux dire ?
Rencontrer des gens qui te montrent une autre façon de vivre ! Tu prends toujours quelque chose.
L’Argentin baisse le ton et se rapproche de moi.
Il y a d‘autres gens qui ont la vérité ! me souffle-t-il d’un air entendu.
Ricardo m’invite à passer voir son bateau… et boire une petite bière !
Avec grand plaisir ! Je serai à bord d’Anthinéa vers dix huit heures trente.
Anthinéa est une petite merveille. A vrai dire, pas si petite que ça, puisque le bateau dépasse les douze mètres. Sauf, quand il s’agit du calcul du prix de la place de port dans une marina ! D’après ce que je crois comprendre, dans ce cas précis, le bateau ne mesure plus que neuf mètres et des poussières. Mais ça c’est une autre histoire !
C’est Ricardo qui a fait l’aménagement intérieur. Un bateau lumineux, bien confortable. Bien pensé. Faut dire qu’il en est très fier.
C’est sa femme ! me glisse Damien, son équipier.
Pour sûr que cet intérieur est la continuité, ou l’expansion de son être intérieur. D‘ailleurs, tout comme une maison ou une pièce !
Le seul truc qui me chiffonne, c’est sa furieuse intention de recouvrir la magnifique table en bois massif du carré de formica couleur rose fuchsia !
J’adore cette couleur ! confesse-t-il.
Mais bon, les goûts et les couleurs ça ne se discute pas !
Ricardo me dit qu’il a passé une dizaine d’années aux Caraïbes sur son bateau. Comment se débrouillait-il ?
Je travaillais sept mois à Paris, puis je venais aux Caraïbes pendant cinq mois.
Les mois d’hiver, bien entendu !
J’ai passé beaucoup de temps dans les iles Vénézuéliennes : Trinidad, une forêt magnifique qui tombe de la montagne dans la mer… Los Roques… Aves…
Aves, c’est à la petite île à l’ouest de l’archipel des Roques ?
Oui, c’est l’île aux oiseaux ! Une île corallienne. C’est inimaginable le nombre d’oiseaux qu’il y a sur cette île. Il y a une mangrove avec plein plein d’oiseaux. Et de merde d’oiseaux ! Incroyable aussi, les poissons. Tous les jours j’allais pêcher un magnifique poisson avec mon harpon !
Un incorrigible voyageur ce Ricardo ! Une furibonde envie de voyager. D’aller plus loin !
Quand j’avais onze ans, je n’avais pas beaucoup d’argent, tu imagines ; avec un copain, on a pris un billet de train. C'est-à-dire une destination pour le montant de notre petite fortune. On ne savait pas où on allait !
En quelque sorte, un billet pour nulle part !
Oui, c’est ça ! Quand on est arrivés, on ne savait pas où on était. Il n‘y avait rien qu’une gare. Pas de ville. Rien !
Et alors, qu’est-ce que vous avez fait ?
On a attendu le train pour le retour !
Et il m’explique que, parfois, il faut aller plus loin que ses peurs.
La peur, c’est un moteur ! conclut le sage aventurier.
Plus tard, Ricardo achète une 2 CV ! Avec elle, il sillonne toute l’Argentine, la Bolivie, le Chili. Il va jusqu’en Patagonie, à Ushuaia. Trois mille cinq cents kilomètres de Buenos Aires à Ushuaia !
Ma 2 CV m’é donné la liberté ! déclare-t-il fièrement.
A l’époque, me dit-il, c’était des pistes. Ce qui signifie que sur un parcours total de dix mille kilomètres, sept mille étaient de la piste… Et tout ça en deux pattes !
Ricardo me confie aussi que c’est un passionné de motos. Il en possède deux.
En moto, jé souis allé partout. Les pays de l’Est… partout !
Quand il était à Paris, et que son bateau dans un port à sec près de Marseille, il faisait le trajet en moto.
Chaque fois, je prenais une route différente afin de découvrir de nouvelles choses. J’étais émerveillé à chaque coin de route !
Des milliers de kilomètres en moto.
Waouh ! Il me donne le vertige ce type. Un casse-cou notre Ricardo ? Pas du tout ! Faut le voir manœuvrer son bateau.
En bateau, le maximum de prudence, il faut le multiplier par cent !
Mais pour Ricardo, le voyage pour ce n’est surtout pas l’avion.
Le voyage, c’est entre le départ et l’arrivée. Au Brésil ou en Argentine, je préfère prendre le car plutôt que l’avion. Même si le voyage dure deux ou trois jours. Au moins, comme ça tu vois des choses. Tu vis des choses !
Je préfère ne pas lui demander ce qu’il pense des promos week-end, des clubs de vacances et des voyages organisés pour le troisième âge ! Mais quand même, Ricardo s’emballe. Il faut que je le calme un peu.
Et pourquoi cette insatiable soif de voyages ?
Sans les voyages, me réplique-t-il d’un ton de Don Quichotte piqué à vif, tu restes comme à l’origine. Brut de décoffrage !
Et pan sur le bec.
Mais les voyages, précise-t-i, il faut les mâcher. Les digérer !
Le sage à la (courte) barbe blanche réfléchit un instant. Il me regarde avec des yeux qui semblent remonter des abysses.
Le plus important, dit-il lentement de sa voix empreinte d’une infinie bonté, c’est de digérer ce que tu vois, ce que tu vis, lors des voyages !
Et alors, comment resituer cette philosophie de vie et cet art de vivre, pour ne pas dire cette rage de vivre, dans le contexte de notre société actuelle ? Dans la morosité et les angoisses de notre quotidien ? Sa réponse est sans appel.
Moins d’argent, plus de satisfactions !
Qu’est-ce que tu entends par satisfactions ?
Plus de liberté pour faire ce que l’on a envie de faire !
Projets ?
Il y a quelque chose qui me trotte dans la tête. Descendre, en barque, de la ville de Misiones, au nord de l’Argentine, jusqu’à Buenos Aires.
Sur le Parana, pas loin des chutes d’Iguaçu ?
Oui c’est ça, sur le Parana !
Le Parana, un fleuve de boue, d’une violence terrible et d’une largeur impressionnante, qui coule entre le Brésil, l’Argentine et le Paraguay.
Incorrigible ce Ricardo !
Mais, j’y pense… Misiones, n’est-ce pas là où vivaient les Indiens Guarani ? Là, où ce coquin de Ricardo allait rejoindre sa petite fiancée à la voix si douce ?
Ah, j’oubliais… Ricardo touche une retraite de deux cents euros par mois ! (Gilbert Altenbach)
viernes, 21 de agosto de 2009
miércoles, 19 de agosto de 2009
cabo verde
domingo, 9 de agosto de 2009
CICLON "LOUIS" 1995 Isla Antigua
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